Face aux tensions géopolitiques, à une faible croissance économique et à la concurrence technologique, la Commission européenne a présenté, le 26 février 2025, le Clean Industrial Deal. Cette première grande initiative législative vise à rendre l’industrie européenne plus compétitive et décarbonée. Ce plan ambitieux vise à réaffirmer le « made in Europe ». L’Union européenne s’est fixé un cadre ambitieux pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de 90 % des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2040. Ce cadre apporte aux entreprises et aux investisseurs la stabilité et la prévisibilité nécessaires pour stimuler la compétitivité.
Un contexte industriel et climatique exigeant
Aujourd’hui, l’UE fait face à plusieurs défis majeurs :
- Le retour de Trump, avec sa politique favorisant le « made in America » et ses menaces de guerre commerciale envers ses alliés, oblige l’Europe à réagir. Elle doit se renforcer et affirmer son rôle, notamment face au recul des États-Unis sur la transition écologique.
- L’offensive chinoise sur les technologies vertes, avec des investissements massifs dans la production de batteries, de panneaux solaires et de véhicules électriques, met l’Europe sous pression. L’UE doit accélérer le développement de ses propres capacités industrielles pour éviter une dépendance accrue vis-à-vis de la Chine.
- Des coûts énergétiques plus élevés qu’aux États-Unis et en Asie, qui pèsent sur la compétitivité des industries européennes. L’UE doit investir dans les énergies renouvelables et le nucléaire, renforcer l’efficacité énergétique et développer des mécanismes de soutien pour limiter l’impact sur les entreprises.
- La nécessité d’accélérer la transition vers une industrie décarbonée pour atteindre les objectifs climatiques de l’UE à horizon 2030 et 2050. Cela implique des investissements dans l’hydrogène vert, le captage et stockage du carbone, ainsi que l’adoption de normes plus strictes pour les industries les plus polluantes.
- La montée de l’extrême droite en Europe, qui cherche à torpiller l’arsenal législatif destiné à lutter contre le réchauffement climatique. Cette dynamique menace l’adoption de nouvelles réglementations et pourrait freiner les financements destinés à la transition verte, mettant en péril la cohérence et l’ambition du Green Deal européen.

Voici les 6 grands axes du Clean Industrial Deal :
La sécurité énergétique et les prix de l’électricité
L’électricité étant plus chère en Europe que chez nos partenaires commerciaux, garantir une énergie abordable est une condition essentielle à la réussite de la compétitivité de notre industrie. La dépendance de l’Europe face aux énergies fossiles importées est la principale cause de l’augmentation et de la volatilité des prix de l’énergie, situation exacerbée par la crise énergétique et la militarisation de l’approvisionnement en gaz par la Russie. Ces incertitudes géopolitiques et commerciales font augmenter les coûts d’investissement qui sont répercutés sur les consommateurs. De plus, les inefficacités plus structurelles du système électrique augmentent également les coûts de l’énergie.
L’insuffisance des interconnexions et des infrastructures de réseau, ainsi que l’intégration et la flexibilité limitées des systèmes énergétiques entravent l’intégration de sources d’énergie décarbonées moins coûteuses et limitent la résilience de l’UE face aux menaces. La numérisation, les réseaux intelligents pilotés par l’IA et la surveillance de l’énergie basée sur l’IoT, seront essentiels pour assurer l’intégration des systèmes énergétiques, soutenir la gestion du réseau en temps réel, améliorer la flexibilité du côté de la demande et permettre une maintenance prédictive pour les infrastructures critiques.
Ainsi, l’UE pour progresser vers une électrification et un marché unique de l’énergie, a mis en place un plan d’action en trois axes :
- réduire les factures d’énergie ;
- accélérer le déploiement de l’énergie propre et de l’électrification, avec des interconnexions et des réseaux achevés, ainsi que la fabrication propre ;
- assurer le bon fonctionnement des marchés du gaz.
Néanmoins, la Commission a des moyens d’action limités, dès lors que les Etats membres ont la maîtrise de leur politique énergétique, qu’ils n’ont pas le même « mix ». La question du nucléaire continue de diviser également. Alors que la France, elle, mise sur le nucléaire malgré les pressions européennes en faveur des énergies renouvelables. Décryptage ici.
Les marchés pilotes : stimuler l’offre et la demande de produits propres
Pour encourager la décarbonation des produits, des mesures concrètes du côté de la demande sont nécessaires. Les entreprises ne feront les investissements nécessaires que si elles sont sûres qu’il existe un marché pour leurs produits. Le Clean Industrial Deal créera les conditions pour faire émerger cette demande en établissant des marchés de tête pour les technologies et produits européens propres. Cela renforcera la position de l’UE en tant que leader mondial de la transition énergétique et augmentera sa compétitivité dans des secteurs clés, tout en garantissant une production durable et des emplois. Les marchés de tête permettent de réduire les coûts et d’accroître l’accessibilité des alternatives durables. De nouvelles mesures viendront soutenir l’initiative de création d’un marché pour le carbone capturé et favoriseront le déploiement de réacteurs modulaires pour accélérer la décarbonation.
Par exemple, pour l’hydrogène, pour soutenir son développement, la Commission européenne adoptera au T1 2025 un acte délégué clarifiant les règles de production de l’hydrogène bas carbone afin d’assurer une meilleure visibilité aux investisseurs. Pour accélérer les investissements, un troisième appel à projets sera lancé au T3 2025 dans le cadre de la Banque Européenne de l’Hydrogène, avec un budget pouvant atteindre 1 milliard d’euros. Un Mécanisme Hydrogène, facilitera la mise en relation des acheteurs et fournisseurs d’hydrogène et l’accès aux financements. Enfin, la Commission prépare une étude d’évaluation du cadre réglementaire actuel pour identifier les freins à l’expansion de l’hydrogène renouvelable.
Les financements
La transition vers une économie décarbonée de l’UE nécessitera des investissements considérables, estimés à 480 milliards d’euros par an supplémentaires par rapport à la décennie précédente. Pour atteindre cet objectif, la mobilisation de capitaux privés est essentielle, ce qui implique une stabilité réglementaire à long terme et des incitations publiques efficaces.
Le prochain cadre financier pluriannuel (MFF) de l’UE jouera un rôle clé dans la facilitation de cette transition en soutenant les investissements dans des projets d’innovation industrielle et de décarbonisation. Il introduira également un Fonds de Compétitivité pour financer des projets d’innovation technologique et soutenir l’industrie propre, en particulier dans le cadre du Clean Industrial Deal, qui mobilisera plus de 100 milliards d’euros pour améliorer la compétitivité des industries propres européennes. Ce fonds pourra réduire les coûts énergétiques pour les entreprises, améliorant ainsi leur compétitivité sur le marché mondial.
De plus, un nouveau cadre pour les aides d’État sera mis en place afin de simplifier et d’accélérer les processus d’approbation, tout en réduisant les barrières à l’investissement privé. Une attention particulière sera accordée à l’utilisation de mécanismes fiscaux pour encourager les entreprises à adopter des pratiques de décarbonisation, par exemple en offrant des crédits d’impôt et en réduisant la période d’amortissement des technologies propres.
L’UE lancera également une Banque de Décarbonisation Industrielle, visant à lever jusqu’à 100 milliards d’euros pour financer des projets réduisant les émissions de carbone dans les secteurs industriels. En parallèle, InvestEU, le principal mécanisme de financement de l’UE, sera renforcé pour attirer davantage d’investissements privés dans les secteurs ciblés par le Clean Industrial Deal, notamment les technologies propres, les infrastructures énergétiques et les solutions de mobilité durable.
Le rôle des Institutions Européennes comme la Banque Européenne d’Investissement (BEI) sera crucial pour fournir des financements supplémentaires et sécuriser des investissements privés dans des domaines stratégiques, notamment les technologies de stockage d’énergie, l’hydrogène, et les matériaux critiques.
Le recyclage et les matières premières critiques
L’UE doit sécuriser l’accès aux matières premières essentielles pour réduire sa dépendance aux fournisseurs extérieurs et éviter les ruptures d’approvisionnement. L’économie circulaire, intégrée à la stratégie de décarbonation, permettra de réutiliser et recycler les matériaux, renforçant ainsi l’autonomie européenne. Le marché du remanufacturing devrait passer de 31 à 100 milliards d’euros d’ici 2030, créant 500 000 emplois et accélérant la transition industrielle.
Pour diversifier les sources d’approvisionnement, l’UE mettra en place dès 2025 une liste de projets stratégiques et un mécanisme de mise en réseau des demandes de matières premières critiques. Un Centre européen sera également créé pour coordonner les achats et surveiller les chaînes d’approvisionnement.
L’absence de marché unique pour les déchets et matières secondaires freine le développement de l’économie circulaire. Une loi dédiée, prévue en 2026, visera à harmoniser les règles et stimuler l’utilisation de matériaux recyclés. Parmi les mesures clés : simplification des règles sur les déchets électroniques, promotion des matériaux bio-sourcés pour réduire l’usage de matières fossiles. Pour atteindre l’objectif de 25 % de recyclage des matières premières critiques, l’UE envisage des mesures incitatives pour limiter les exportations de déchets et favoriser leur réutilisation interne. Des Hubs de Circularité Transrégionaux seront mis en place pour mutualiser les capacités de recyclage et développer des projets stratégiques entre États membres.
Produire localement des fertilisants bas carbone et recyclés réduira les dépendances aux importations, les émissions et les coûts pour les agriculteurs. L’UE mise donc sur l’innovation et la coopération pour sécuriser ses approvisionnements, développer une industrie circulaire et accélérer sa transition écologique.
Les marchés mondiaux et partenariats internationaux
L’atteinte des objectifs du Clean Industrial Deal repose sur des partenariats internationaux, essentiels pour sécuriser l’accès aux matières premières critiques (souvent situés en dehors de l’Europe) et garantir des chaînes de valeur durables face à la concurrence mondiale.
Pour assurer sa compétitivité, l’UE développera des Partenariats pour un Commerce et des Investissements Propres (CTIPs). Ceux-ci viendront compléter les accords de libre-échange existants en sécurisant l’accès aux matières premières, aux technologies propres et à l’énergie verte. Ils faciliteront les investissements dans les infrastructures durables en combinant financements publics et privés. Une coopération réglementaire soutiendra l’adoption de normes environnementales et de mécanismes de tarification du carbone. Le premier CTIP sera lancé en mars, avec une initiative spécifique pour la région méditerranéenne visant à stimuler les investissements dans les énergies renouvelables.
Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM) sera simplifié pour réduire les charges administratives tout en maintenant son rôle incitatif pour la tarification du carbone à l’échelle mondiale. Une révision prévue en 2025 évaluera son extension à d’autres secteurs et la prise en compte des émissions indirectes. Une coopération internationale renforcera l’alignement des politiques climatiques et des marchés du carbone.
L’UE protégera son industrie en renforçant le contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques et en optimisant ses outils de défense commerciale, comme les droits antidumping. Elle intensifiera aussi sa coopération avec le G7 pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales.
L’emploi et les compétences
Le Clean Industrial Deal s’engage à garantir une transition juste, en créant des emplois de qualité et en renforçant les compétences des travailleurs tout en assurant la cohésion sociale et l’équité entre les régions. L’industrie européenne doit attirer et former une main-d’œuvre qualifiée pour réussir cette transformation et s’adapter aux nouveaux besoins engendrés par la transition écologique et numérique.
L’UE mettra en place une Union des Compétences, une stratégie visant à doter les travailleurs des compétences nécessaires et à faciliter l’accès des entreprises aux talents. Un soutien de 90 millions d’euros via Erasmus+ appuiera des initiatives comme les Pactes pour les Compétences et les Académies de Formation.
Placer la décarbonation et l’économie circulaire au cœur de notre politique économique est essentiel pour maintenir la compétitivité de l’UE. Le Clean Industrial Deal incarne cette stratégie. Depuis 1990, les émissions de l’UE ont chuté de 37 %, tandis que le PIB a progressé de 68 %, prouvant que la décarbonation stimule la croissance.
L’UE dispose des outils nécessaires, mais leur efficacité repose sur une approche cohérente et stratégique, incluant la rétention des talents et l’adaptation aux évolutions géopolitiques, tout en garantissant une concurrence équitable et des normes élevées.
Une mise en œuvre efficace exige un suivi rigoureux, des indicateurs de performance et une coordination européenne pour investir et accélérer la transition. La Commission surveillera les progrès via son Rapport annuel sur la compétitivité et renforcera la coopération avec les États membres et les parties prenantes.

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Sources
- Clean Industrial Deal – A plan for EU competitiveness and decarbonisation – www.commission.europa.eu
- Clean Industrial Deal : 5 points sur le nouveau plan de la Commission pour relancer la compétitivité par l’industrie verte – www.legrandcontinent.eu
Rédacteurs : Cellule Veille et prospective Yélé Consulting