Yélé Consulting a récemment interviewé Bertrand Jamonet du Groupe Cheval, qui a détaillé leurs initiatives de décarbonation et circularité. Découvrez comment cet acteur majeur réduit son empreinte carbone et favorise la durabilité.
« Il ne faut pas que, par manque d’investissement ou d’anticipation, les actions de décarbonation deviennent une contrainte »
Bertrand JAMONET, Directeur des Projets Environnementaux au sein du groupe CHEVAL
Bonjour Bertrand, pouvez-vous s’il vous plaît nous présenter le Groupe Cheval ?
Bonjour, bien entendu. Le Groupe Cheval est un aménageur bien implanté dans le quart sud-est de la France et qui réunit 1100 collaborateurs. Nous garantissons le développement et l’entretien d’infrastructures performantes et responsables via 22 entités qui interviennent sur des activités telles que la déconstruction, la gestion des réseaux secs (gaz et électricité) et humides, la production d’enrobés, de granulats, de bétons et de fleurs ou le recyclage des activités du BTP…
Comment le Groupe Cheval intègre-t-il la décarbonation dans ses activités ?
En 2020, nous sommes devenus la première entreprise du secteur des travaux publics à devenir société à mission. La décarbonation de nos industries, essentielle pour nous depuis de nombreuses années, est l’un des piliers de cet engagement.
Pour décarboner l’industrie, il faut tout d’abord se poser la question de la mesure. Nous nous apprêtons à entamer notre troisième bilan carbone. Pour les réaliser, nous avons formé en interne des experts en bilan carbone. Nous évitons ainsi la complexité du partage de nos données internes avec des tiers.
La principale difficulté rencontrée dans cet exercice est la comparaison des résultats entre les années. En effet, durant les dernières années, nous avons connu une croissance significative et une intégration de nouveaux types d’activités telles que la production de béton. L’année 2023 sera marquée par une hausse de notre bilan carbone avec l’intégration de ces nouvelles données. Cependant, nous anticipons une certaine stabilité sur 2024, ce qui nous permettra de comparer nos performances sur un périmètre plus constant de l’entreprise.
Quels enseignements avez-vous tirés de ces premiers bilans carbone ?
Ces informations nous aident à identifier les postes sur lesquels accentuer nos efforts et à renforcer notre engagement à réduire notre impact environnemental. L’un des points saillants de notre bilan carbone sur les années précédentes a été la mise en évidence de notre principal poste d’émission : la mobilité.
Nous avons donc commencé par revoir notre flotte de véhicules. Actuellement, nous avons environ 1500 moteurs thermiques, qui incluent les engins de chantier, les poids lourds, les véhicules utilitaires, ainsi que les équipements nécessaires à l’entretien paysager. Notre ambition est de basculer vers des énergies alternatives pour les poids lourds et les véhicules utilitaires, en visant 50 % d’énergie alternative d’ici 2026. Nous avons déjà investi dans des véhicules fonctionnant au biogaz et avons créé trois stations de distribution pour soutenir cette transition.
En ce qui concerne l’électro-mobilité et l’hydrogène, nous explorons également ces options pour nos gros véhicules. Cependant, actuellement, elles restent financièrement inaccessibles. En revanche, nous basculons massivement vers l’électrique et l’hybride pour les véhicules légers et nous soutenons cette transition en ayant installé 28 bornes sur nos différents sites.
Le poste « Mobilité » va passer en deuxième position dans nos futurs bilans avec l’intégration des sociétés productrices de béton que nous avons acquises récemment : le béton est devenu notre principale source d’émissions.
Et comment appréhendez-vous la problématique de la consommation d’énergie ?
Notre objectif est double : limiter notre impact tout en sécurisant nos coûts énergétiques et réduisant notre vulnérabilité aux fluctuations de coûts énergétiques que nous avons connues ces derniers mois.
L’un des principaux défis réside dans le fait que nous ne produisons pas notre propre énergie. Cela complique la transition vers des sources d’énergie alternatives. Cela est particulièrement vrai pour la mobilité, qui est notre premier point d’attention, mais aussi pour nos industries très consommatrices d’énergie, que ce soit le gaz ou l’électricité.
Pour l’électricité, un peu plus simple à gérer, notre réflexion se concentre principalement sur l’énergie solaire via la mise en place d’installations photovoltaïques pour autoconsommer l’énergie produite. Par exemple, nous envisageons de solariser le stockage de matériaux dans notre principale usine de production. De plus, chaque nouvelle construction d’usine intègre des panneaux solaires pour maximiser notre autoconsommation. Nous sommes également à la recherche de partenariats avec des producteurs locaux via des corporates PPA.
Concernant le gaz, notre projet d’unité de méthanisation vise à valoriser nos anciennes carrières. L’objectif n’est pas de produire du gaz pour le consommer directement, mais plutôt de le réinjecter dans le réseau. Cependant, nous avons besoin des garanties d’origine, notamment pour notre flotte de véhicules et pour notre industrie, qui en est très consommatrice.
En effet, actuellement, environ 80 % de notre énergie provient du gaz, tandis que l’électricité représente les 20 % restants. Nous explorons différentes pistes d’actions. L’une d’entre elles consiste à modifier notre source d’approvisionnement en gaz en basculant vers le bois. Cette transition vers le bois réduira considérablement notre consommation de gaz et notre empreinte carbone.
Et nous supposons que la circularité des matériaux est aussi un thème important pour vous ?
Bien sûr. La circularité des matériaux est essentielle pour réduire notre impact environnemental. Permettez-moi de vous donner un exemple concret. Nous avons travaillé sur le recyclage des enrobés : nous retirons la couche superficielle d’enrobé, la broyons, puis la réutilisons sur le site d’enrobage. Cela permet d’intégrer jusqu’à 40% d’enrobé recyclé dans les nouvelles formules. Cette approche est devenue automatique dans les agrégats d’enrobé.
Nous travaillons également sur le granulat recyclé issu des bétons de la déconstruction que nous réutilisons désormais. Ce dernier fait appel à une technologie qui est récente chez nous et sur laquelle nous comptons continuer à évoluer, d’abord dans les bétons de bordure puis vers d’autres usages. Cela ne révolutionnera pas notre bilan carbone, mais c’est un pas dans la bonne direction.
Cependant, cette approche ne s’adapte pas à toutes nos matières. Notre vrai défi réside dans le ciment et son processus de fabrication qui est fortement émetteur en carbone. En tant qu’acheteurs de ciment, nous voulons peser davantage. Il est temps de sortir du schéma traditionnel et de faire évoluer notre activité vers une circularité plus efficace. Mon souhait est de nous différencier du ciment traditionnel, qui, une fois chauffé, émet du CO2.
Il faut donc faire évoluer le processus de fabrication et de recyclage du ciment… ?
Les cimentiers sont confrontés aux difficultés de la fabrication du ciment. Et on leur demande de réduire encore davantage leurs émissions. Pour réduire l’impact du ciment, le changement de mode de chauffage est important. Cependant, ce n’est pas la seule pièce du puzzle. Pour moi, il est essentiel de revoir l’ensemble du processus : cela implique de changer à la fois les intrants et le mode de chauffage. Les deux aspects doivent avancer conjointement.
Les cimentiers sont bien conscients du flux actuel et des résultats qu’ils obtiennent, mais ils ont des processus bien définis qui peuvent complexifier le changement (comme pour n’importe quel acteur bien installé au cœur de son secteur).
Je trouve que de nombreuses start-ups ont une approche intéressante et pertinente car elles creusent des voies différentes. Certains cherchent à créer des ciments sans chauffage, tandis que d’autres explorent des matériaux alternatifs qui ne nécessitent pas de processus de chauffage exceptionnel, voire pas de chauffage du tout. Je pourrais citer quatre approches différentes, toutes avec la même fidélité à l’objectif.
Au-delà des cimentiers, y a-t-il d’autres acteurs avec lesquels vous commencez à réfléchir en termes de cluster pour favoriser la circularité, soit en amont, soit en aval du groupe Cheval ?
Oui, en effet. Nous avons collaboré avec des start-ups qui cherchent à produire des granulats à partir de déchets.
Un autre aspect auquel nous réfléchissons est la question des carrières. Même si nos relations avec les organismes de régulation sont bonnes, il devient de plus en plus difficile d’ouvrir ou de continuer à exploiter des carrières, en partie en raison de la pression exercée par les riverains, même si la carrière est destinée à redevenir agricole. Cependant, des projets portés par le milieu agricole émergent.
Le constat est clair : nous devons résoudre les problèmes liés au carbone, aux déchets plastiques et aux déchets de chantiers. Certains de ces matériaux peuvent être valorisés, d’autres non. Nous devons tous aller dans la même direction : réduire notre impact environnemental !
Quelles sont les principales difficultés que vous identifiez dans ces actions pour réduire les impacts environnementaux ?
Le principal point d’attention que je vois aujourd’hui est la nécessité de prendre en compte le cycle de vie complet du produit, y compris son recyclage. Lorsque nous transformons des déchets en granulats, cela fonctionne bien jusqu’à un certain point. Cependant, lorsque ces granulats sont utilisés dans des constructions, il est essentiel de pouvoir les tracer et de garantir un recyclage adéquat. Si ces granulats se retrouvent dispersés dans diverses constructions, le risque est qu’ils finissent par retourner dans la nature, ce qui est préoccupant.
Ce que vous entendez par là c’est que le sujet de la circularité est intimement lié au sujet de la traçabilité des matériaux ?
Oui, de plus en plus. À moins que votre nouveau produit n’ait aucun impact sur l’environnement, la circularité implique de considérer un déchet comme une « matière première secondaire » pour un autre processus. C’est une démarche positive, à condition que ce déchet ne présente pas de risque. Si un potentiel risque existe, il doit être tracé.
Nous rencontrons la même situation dans le domaine de la méthanisation. Le résidu issu de la production de biogaz, appelé digestat, possède les caractéristiques d’un engrais. Cependant, aux yeux de la loi, il est considéré comme un déchet. Nous respectons la législation, et si c’est un déchet, nous le traçons. Heureusement, il peut être utilisé comme retour au sol, à condition qu’il ne soit pas souillé. La même philosophie s’applique à la fois aux aspects organiques et minéraux.
La circularité nous pousse à explorer de nouvelles voies pour réduire notre empreinte environnementale.
Une dernière question : quels conseils donneriez-vous à d’autres industriels qui souhaitent mettre en place des actions de décarbonation, ou plus spécifiquement sur la circularité ?
En réalité, chacun a sa propre approche et regarde ce qu’il peut faire. La première étape est de mesurer son impact, même si ce n’est pas toujours évident. Une fois que l’on prend conscience, il faut agir. Actuellement, nous nous concentrons sur ce qui nous impacte directement, car c’est là que nous avons choisi d’intervenir.
Cependant, il ne faut pas que, par manque d’investissement ou d’anticipation, les actions de décarbonation deviennent une contrainte. Il ne faut pas être pris au piège par la réglementation. Au sein du Groupe Cheval, nous pensons être en avance sur le plan réglementaire, et nous préférons demander des évolutions plutôt que de subir les obligations. Bien sûr, nous avons parfois des contraintes réglementaires, mais nous essayons de voir cela comme une opportunité d’amélioration plutôt que comme une entrave. Sur les thématiques liées au développement durable, nous agissons de manière proactive, encouragés par la vision de notre direction générale. Nous sommes là pour agir, et il faut le faire correctement.
Intervieweurs : Emmanuel GIORGI ; Emeric DENAMIEL