Au printemps 2024, la Cour des comptes a publié un rapport sur l’adaptation de l’action publique face au changement climatique, avec une attention particulière portée sur les infrastructures sensibles. Institution indépendante, la Cour des comptes évalue l’utilisation des fonds publics et l’efficacité des politiques publiques, tout en formulant des recommandations pour améliorer la gestion et la transparence des ressources publiques. Yélé Consulting vous présente un résumé du chapitre « L’adaptation du réseau ferroviaire national au changement climatique« , que la Cour des comptes a élaboré en collaboration avec des acteurs clés tels que SNCF Réseau et Gares & Connexions, et qui met en lumière les vulnérabilités croissantes du réseau face aux événements climatiques extrêmes.
Conséquences opérationnelles et financières pour la résilience ferroviaire
Les vulnérabilités des infrastructures ferroviaires face aux événements climatiques extrêmes
Alors que les prévisions différents scénarios du GIEC se révèlent sous-estimées, l’infrastructure ferroviaire est particulièrement sensible aux vagues de chaleur et de froid extrêmes.
Les modèles climatologiques montrent ainsi une augmentation marquée des épisodes de fortes chaleurs, qui pourraient devenir trois à quatre fois plus fréquents (scénario RCP 4.5) ou cinq à dix fois plus fréquents (scénario RCP 8.5) d’ici la fin du siècle. Parallèlement, les périodes de gel devraient quasiment disparaître en plaine d’ici 2050, mais être plus fréquentes en zones montagneuses.
La France sera aussi confrontée à des sécheresses accrues, augmentant les risques de feux de végétation et de déstabilisation des sols. Les scénarios du GIEC prévoient jusqu’à 10 jours supplémentaires de sécheresse par an, touchant particulièrement la moitié ouest et le pourtour méditerranéen.
Enfin, les fortes pluies devraient s’intensifier, surtout dans le nord du pays, notamment aux frontières et sur le littoral de la Manche.
La variabilité climatique perturbe non seulement l’exploitation quotidienne, mais impose aussi des coûts d’entretien de plus en plus élevés pour garantir la sécurité et la continuité des services.
Une vulnérabilité croissante du réseau ferroviaire
Des infrastructures de plus en plus exposées
Les infrastructures ferroviaires montrent une sensibilité accrue aux aléas météorologiques, avec chaque composant des voies concerné par le changement climatique.
- Les gares, pour lesquels des phénomènes peuvent impacter directement le confort des voyageurs et les opérations ferroviaires, notamment la maintenance ;
- Les ouvrages en terre en bord des voies (déblais, remblais) et les ouvrages d’art (tunnels, ponts, etc.), exposés aux intempéries, voient leur intégrité compromise par des glissements de terrain ou l’érosion ;
- Enfin, les équipements de signalisation et les réseaux de télécommunications, souvent mal protégés, sont particulièrement vulnérables aux inondations, rendant certaines sections du réseau inopérantes.
Des normes de construction dépassées
Le réseau ferroviaire français comprend 2 136 km de lignes à grande vitesse, 13 999 km de lignes à trafic élevé ou moyen, ainsi que 11 078 km de lignes à faible trafic. En plus de cette diversité d’usages, le réseau rassemble un ensemble de composantes très hétérogènes, résultant de plus d’un siècle d’évolution en termes de conceptions et de technologies, et souligne la vétusté du réseau. En 2021, plus de 15 % des voies linéaires étaient considérées comme trop vétustes. Bien que les lignes TGV aient été construites selon des normes plus récentes, une grande partie des infrastructures ne répond plus aux exigences des nouvelles conditions climatiques. Les normes actuelles de construction ne sont plus adaptées aux prévisions des changements climatiques, créant un besoin urgent de révision et de modernisation des infrastructures.
Une approche d’adaptation insuffisante
L’approche actuelle d’adaptation repose principalement sur une analyse rétrospective, qui ne tient pas compte de l’intensité et de la fréquence accrues des événements climatiques. Cela conduit à des interventions souvent trop tardives et à des réparations coûteuses. Le réseau manque d’outils de prédiction d’empreinte climatique qui permettraient d’anticiper les efforts d’adaptation et de limiter les interruptions de service.
Actuellement, les mesures de prévention mises en place par SNCF Réseau, telles que la peinture blanche des bâtiments pour réduire la chaleur, l’agrandissement des canalisations ou encore les systèmes d’alerte météorologique, sont efficaces à petite échelle. Toutefois, elles ne sont pas suffisamment globales pour anticiper pleinement les impacts croissants des événements climatiques.
Une augmentation prévisible de l’indisponibilité du réseau
En 2022, 46 % des irrégularités sur le réseau étaient dues à des causes externes, et les intempéries étaient responsables de 19 % de ces irrégularités. Ces chiffres illustrent une tendance inquiétante : une hausse prévisible de l’indisponibilité du réseau ferroviaire, particulièrement pendant les périodes de fortes chaleurs ou d’inondations.
La fermeture durant un mois de la voie entre Montpellier et Béziers à la suite des inondations de 2019 a occasionné des pertes d’exploitation pour l’entreprise ferroviaire SNCF d’un montant de 17,5 M€, nettement plus élevé que le coût de réparation des dégâts constatés sur la voie par SNCF Réseau (4,1 M€).
Des risques accrus pour la sécurité : l’accidentologie due à la déformation des voies
Les vagues de chaleur extrêmes représentent un danger non seulement pour la continuité du service, mais aussi pour la sécurité des usagers. En effet, sous l’effet des températures élevées, les rails peuvent se dilater, entraînant des déformations de la voie, connues sous le nom de « tassement de voie » ou « gauches thermiques ». Ce phénomène augmente significativement les risques de déraillement, surtout sur les tronçons les plus vulnérables du réseau.
Depuis 2019, plusieurs épisodes de canicule en France ont conduit à des ralentissements obligatoires sur certaines lignes en raison de déformations des voies. Par exemple, des limitations de vitesse ont été imposées sur la ligne Paris-Lyon en 2019, et en 2022, dans les Hauts-de-France, des ralentissements ont affecté la ligne Paris-Amsterdam. Bien que ces mesures soient nécessaires pour préserver la sécurité, elles ne peuvent pas totalement éliminer les risques liés à l’accidentologie, exacerbés par ces conditions climatiques extrêmes.
L’absence de modernisation adéquate des infrastructures et de renforcement des voies face à ces nouvelles contraintes thermiques pourrait ainsi entraîner une hausse des incidents ferroviaires dans les décennies à venir, rendant d’autant plus pressant le besoin d’investissements dans la résilience du réseau.
Une absence d’outils de mesure des coûts
Bien que les perturbations du réseau aient un impact direct sur les recettes de péage ferroviaire, les acteurs ne disposent pas encore d’outils efficaces pour estimer les coûts des interruptions dues aux intempéries. Cette lacune complique l’évaluation des pertes financières engendrées par ces événements climatiques et ralentit la mise en place d’investissements préventifs.
Une étude menée par SNCF Réseau en 2022 a estimé que, sur la période 2018-2021, les pertes de revenus liées aux trains supprimés s’élevaient à 530 000 € par an. Sur la base de ces données, les scénarios climatiques RCP 4.5 et 8.5 du GIEC projettent que ces pertes pourraient dépasser 1 million d’euros par an d’ici 2050. Toutefois, SNCF Réseau reconnaît que ces estimations sont largement sous-évaluées en raison des limitations des outils actuels de suivi des suppressions de trains et des revenus associés.
Un besoin urgent d’une démarche stratégique encadrée par l’État
Sortir d’une logique de réaction
L’approche actuelle du réseau ferroviaire est principalement réactive, avec des ajustements à court terme en fonction des prévisions météorologiques. Par exemple, en cas de canicules prévues à J-3, des mesures sont prises en urgence, mais ces ajustements sont insuffisants face à la multiplication et l’intensification des événements extrêmes. Une révision des projections climatiques et des normes de modernisation est nécessaire pour aboutir à une résilience accrue du réseau.
Une stratégie à définir par l’État
La stratégie d’adaptation doit être alignée avec les objectifs de report modal de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), qui vise une part de 17 % de transport ferroviaire pour les voyageurs en 2030, et 42 % en 2050. Il est impératif de déterminer le niveau acceptable d’indisponibilité du réseau, afin de prioriser les chantiers à mener. Par exemple, une réduction des investissements dans les ouvrages contre le gel en zones montagneuses, où ces phénomènes seront moins fréquents, pourrait libérer des ressources pour renforcer les zones plus vulnérables aux inondations.
Nécessité d’une approche préventive et structurée pour le ferroviaire
En janvier 2024, Christophe Béchu, ministre de la Transition Écologique, a déclaré que 2024 serait « l’année de l’adaptation ». Dans cette dynamique, il a lancé les consultations pour le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC-3), dont l’objectif est de préparer la France aux impacts d’un réchauffement global de 1,5 °C d’ici 2030, 2 °C d’ici 2050, et 3 °C à l’horizon 2100.
Plus ambitieux que ses versions précédentes, le PNACC-3, publié fin octobre 2024, entend opérer une transformation profonde des territoires et des acteurs économiques en offrant un cadre clair pour orienter leurs décisions stratégiques à long terme.
Pour le secteur ferroviaire, l’objectif est d’assurer la résilience du réseau en s’appuyant sur trois piliers essentiels : la maintenance, l’exploitation et la conception régénérative. Cela nécessite une planification renforcée et proactive de la modernisation, avec une organisation structurée qui priorise les zones les plus vulnérables.
Afin de relever ce défi, trois facteurs clés de succès se démarquent :
- Mise en place d’instances de suivi pour garantir l’avancement des projets et la pertinence des décisions prises.
- Sensibilisation et formation des collaborateurs, indispensables pour développer les compétences internes nécessaires à une adaptation continue du réseau.
- Évaluation précise des besoins en investissement et analyse des risques liés à l’inaction, afin de sécuriser les financements et de garantir la pérennité des infrastructures.
Face à des bouleversements climatiques inédits, l’adaptation du réseau ferroviaire français est plus que jamais indispensable. Le rapport de la Cour des comptes souligne les failles dans l’approche actuelle et l’urgence d’une stratégie proactive, encadrée par l’État, pour garantir la continuité des services ferroviaires dans un environnement de plus en plus hostile.
Une révision des normes de construction, couplée à des outils de prédiction climatique, permettraient non seulement de réduire les indisponibilités, mais aussi de sécuriser l’avenir du transport ferroviaire comme un pilier essentiel de la mobilité durable en France.
Yélé Consulting vous accompagne dans la construction de votre stratégie d’adaptation
Yélé accompagne les entreprises dans une transition écologique réussie grâce à son expertise dans le secteur du Transport et des Mobilités :
- Nous vous préparons aux défis de demain (adaptation au changement climatique, méthodologie ACT, etc)
- Nous animons des ateliers de sensibilisation (Atelier 2 tonnes, Fresque du climat, jeu biogaz, formation décarbonation de l’industrie, etc)
- Nous vous aidons à vous mettre en conformité (règlementation CSRD, publication du bilan carbone, etc)
- Nous réduisons votre impact environnemental (stratégie de décarbonation, réduction de l’empreinte biodiversité, déploiement du numérique responsable, etc)
Contributeurs : Brieuc Gancel et Maxime Selier