Quand Elon Musk propose un prix de 100M$ pour la meilleure technologie de captage du carbone1, cela ne peut que refléter l’intérêt des acteurs de la transition énergétique sur ce sujet. Au-delà de l’effet d’annonce, des actions étatiques volontaristes vont dans le sens d’un support croissant au développement des CCUS (Carbon Capture Usage and Storage) qui ne sont pourtant pas nouvelles.
L’Union Européenne évoque les CCUS directement dans le Pacte Vert, l’Allemagne va débloquer un fond pour accompagner à l’industrialisation de ces technologies sur son territoire, l’Angleterre a inscrit les CCUS dans son programme en dix points pour une révolution industrielle verte, bref les CCUS font partie des stratégies de décarbonation de nombreux pays à travers le monde.
Ainsi, l’appui tant attendu par les acteurs de la filière va-t-il enfin prendre forme et permettra-t-il l’industrialisation de ces technologies ? Est-ce un effet d’annonce ou cela produira-t-il des changements structurels impactant pour le climat ?
Les enjeux des CCUS
Les CCUS ne sont pas une technologie nouvelle, des projets ont été développés durant les trente dernières années, notamment aux Etats-Unis et dans les pays nordiques européens. Pour comprendre les défis que devront relever ces technologies dans les années à venir, il est essentiel de distinguer les étapes de ce process :
- Captage du carbone : première étape du système, c’est aujourd’hui la technologie la plus valorisée. Elle bénéficie d’importants investissements, mais fait encore face au défi de trouver un équilibre de marché.
- Utilisation du carbone : le CO2 est déjà revalorisé dans certains secteurs industriels2 et de nouvelles filières sont en développement (ciment, biomasse, etc.). Tout comme le captage, les projets d’utilisation du carbone doivent encore assurer leur rentabilité économique. Enfin ils doivent prendre en compte l’impact environnemental de la transformation du carbone.
- Stockage du carbone : des projets ambitieux ont été réalisés3 et sont encore en cours de développement, mais à des coûts élevés et pris en charge majoritairement par des multinationales privées qui peuvent supporter des montants élevés de CAPEX (Total, Air Liquide, etc.). La question de la pérennité de cette solution est par ailleurs soulevée par les associations environnementales qui s’inquiètent de potentielles fuites4.
Au global la filière a besoin de se fédérer et de renforcer son influence pour passer le stade du pilote à l’industrialisation. Cela lui permettra de peser lors de négociations des politiques de soutien des gouvernements et de faciliter le développement du transport et stockage du carbone. Enfin un des grands points d’interrogation reste le prix du carbone (marché ou taxe carbone) qui se situe à un niveau trop bas aujourd’hui, entre 30 et 40 euros la tonne sur le EU ETS, pour inciter les investisseurs à s’intéresser à ces projets.
Face à ces enjeux, des leviers existent pour accélérer et faciliter le développement des technologies5
Le premier levier est financier. Selon l’AIE, les investissements dans les CCUS ont été bien inférieurs à ceux des autres technologies d’énergie propre6. Avec l’intérêt croissant des acteurs privés et publiques et les fonds dédiés à la R&D sur ces technologies, des solutions compétitives et pérennes économiquement pourront alors voir le jour. De plus, le prix du carbone est attendu à la hausse au regard des impératifs marchés et politiques, ce qui permettra de renforcer l’équilibre économique des projets. Sur cette problématique, le parlement Européen a soutenu, le 10 mars, le mécanisme d’ajustement des émissions de carbone aux frontières7. Avec ce mécanisme, l’Union Européenne envisage d’imposer une tarification carbone sur certaines importations issues de pays tiers.
Le second levier est réglementaire. Si des stratégies nationales et internationales incluent de plus en plus les CCUS, cela ne se reflète pas encore au niveau législatif. Les objectifs climats sont extrêmement ambitieux notamment en ce qui concerne le carbone (l’UE cible la neutralité carbone à 20508), il faut donc pouvoir les accompagner par des politiques volontaristes tout en ne grevant pas les capacités d’actions des entreprises ciblées. Il pourrait par exemple être intéressant d’établir un système similaire à ce qui est fait pour les obligations de compensation pour l’aviation (programme Corsia). Il serait ainsi possible de soutenir des projets CCUS par la compensation volontaire. Enfin il est important d’anticiper de nouvelles lois comme la loi anti-gaspillage pour l’économie circulaire dans laquelle les technologies CCUS peuvent s’inscrire.
Le dernier levier est environnemental. Les CCUS sont un levier de ralentissement du réchauffement climatique comme l’a déclaré l’AIE. Les impacts du réchauffement climatique sont des facteurs directs de risques financiers pour les entreprises, par exemple la hausse des températures peut avoir un impact sur le fonctionnement des infrastructures. Une approche de mitigation du risque environnemental serait alors l’investissement dans des solutions CCUS.
De nouvelles pistes à creuser
Les objectifs carbone sont tels qu’il est nécessaire de développer les CCUS. Les technologies de captage sont soutenues et ont une bonne acceptabilité auprès du grand public, il faut donc s’atteler maintenant au développement des parties Utilisation et Stockage pour apporter des débouchés viables au carbone capté.
Côté Utilisation, il faudrait favoriser la R&D (exemple du projet Power To Gas Jupiter 1000) pour trouver de nouvelles alternatives et répondre aux enjeux de l’économie circulaire. Par ailleurs la standardisation pourrait soutenir les CCU avec la création d’un label9 pour les produits ou services à base de CO2, principe similaire au label “Origine France Garantie”.
Cela amène la question de la localisation des projets. Il sera essentiel qu’il y ait une notion d’ancrage territorial pour favoriser le développement de ces projets et leur acceptabilité.
Enfin il faudrait étudier ces technologies de manière holistique, en menant des Analyses Cycle de Vie. Cela permettrait de mieux comprendre leur impact environnemental et cela soutiendrait de nouvelles innovations pour réduire les fameux « hotspot carbone ».
Les CCUS étant reconnus comme l’un des principaux moyens de réduction des émissions pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, il faut maintenant se donner les moyens de ces ambitions. Par ailleurs accélérer leur déploiement en agissant sur les leviers financiers, réglementaires et environnementaux ne doit cependant pas faire oublier leur objectif premier : réduire les impacts climatiques. Enfin, l’intérêt montré par l’homme le plus riche du monde concerne seulement le Captage, espérons que demain d’autres investisseurs se lancent pour appuyer le reste de la chaîne de valeur CCUS !
Yélé Consulting accompagne les acteurs de l’énergie et de l’industrie dans la mise en place opérationnelle de leur stratégie de décarbonation. Les consultants de son domaine d’excellence décarbonation interviennent sur l’ensemble de la chaine de valeur projet, de l’étude de cadrage amont sur des nouvelles technologies de décarbonation comme les CCUS à la mise en place d’un projet démonstrateur.
Sources
Cartographie des investissements publics :
> Amérique du Nord
– Alberta asks federal government to commit $30B to advance carbon capture technologies, CBC News, 2021
– Bipartisan SCALE Act Puts U.S. on the Path to Becoming a Global Leader in Carbon Capture, 2021
> Asie
– China’s carbon capture, utilization and storage (CCUS) policy: A critical review, 2020
– Japan looks to ASEAN nations for carbon capture and storage, 2020
– India, US to revamp energy ties, 2021
> Europe
– A Green Industrial Revolution: the UK’s plan to build back “greener”, cms-lawnow.com, 2020
– Germany launches CCUS support, 2021
– Update SDE++ 2020 round, 2021
– La Norvège investit 1,6 milliard d’euros dans le captage et le stockage du CO2, une technologie encore peu exploitée, Latribune.fr; 2020
Chaîne de valeur du CCUS : ADEME, « Capture, transport, geological storage and re-use of CO2 (CCUS): strategic roadmap », 2011
1 BFMTV, Elon Musk veut trouver la meilleure technologie de captage CO2: 100 millions de dollars à gagner, 2021
2 Scot project, CO2 utilisation Projects
3 Club CO2, Le CSCV en pratique / En pratique
4 Euronews, What is carbon capture and storage and why are environmentalists concerned?, 2021
5 IFP Energies nouvelles, Captage-Stockage-Valorisation du CO2 : un levier pour décarboner l’industrie, 2019
6 AIE, CCUS in Clean Energy Transitions, 2020
7 Service de Presse, Direction générale de la communication – Parlement européen, Imposer une tarification du carbone sur certaines importations de l’UE pour relever l’ambition mondiale, 2021
8 Vie publique, Neutralité carbone 2050 : des efforts à accélérer pour l’UE, 2021
9 Club CO2, International Overview on CCU Symposium, 2018
Auteure : Violette DONAT – Manager Responsable de la filière Carbone
Auteure : Gianesis MIGUELENA – Consultante