Le gaz naturel occupe une place importante dans notre mix énergétique et atteint 23% du mix européen en 2022. Ce chiffre descend à 15% pour le mix français la même année. La place stratégique du gaz naturel n’est donc plus à prouver. Il est principalement utilisé pour la production d’électricité, le chauffage, notamment des sites résidentiels et chez les industriels. La crise énergétique de 2021-2022 a apporté des changements majeurs sur le marché, notamment en termes de structure de la demande. Entre ces deux années, la demande de gaz naturel a chuté de l’ordre de 10% mais avec des différences notables entre les secteurs ; – 20 % pour l’industrie et + 36 % pour la production d’électricité et de chaleur. Le gaz occupe près de la moitié de la place concernant la production de chaleur, ce qui explique la forte saisonnalité de la demande, avec des besoins jusqu’à 5 fois plus important en hiver qu’en été. Les gaz renouvelables et bas-carbone pourraient représenter 20 % de la consommation de gaz en France d’ici à 2030, et atteindre 100 % d’ici à 2050. Malgré une nette diminution de la consommation dans l’ensemble des pays européens, le gaz fossile demeure largement dominant. Aujourd’hui, le marché du gaz évolue et se complexifie, marqué par les évolutions profondes des relations russo-européennes et de la vision énergétique du Green Deal. À travers cet article, nous dressons un état des lieux synthétique de la mutation du marché gaz européen depuis la libéralisation des marchés. Nous aborderons prochainement les perspectives du marché pour les années à venir.
La construction européenne, point de départ de l’ouverture à la concurrence
Depuis leurs avènements, les marchés mondiaux, européens et français du gaz naturel ont fortement évolué en réponse aux ambitions des différentes politiques énergétiques. L’Union européenne (UE) tient un rôle prédominant dans la régulation du marché des pays membres. Avec l’ambition de créer un marché unique de l’énergie en Europe, l’UE porte des politiques de libéralisation importantes depuis le début des années 2000. Dès 1998, l’UE a mis en place son premier « dispositif énergie » afin d’initier la construction du marché intérieur de l’énergie (électricité et gaz naturel) qui se fera par étape. En 2000, c’est le début de l’ouverture à la concurrence pour les différents acteurs du marché en commençant par les sites à forte consommation puis progressivement jusqu’aux consommateurs en 2007.
De fait, depuis cette date, tout consommateur de gaz est libre de choisir son fournisseur et d’en changer facilement. En 2009, l’UE publie son deuxième « dispositif énergie » qui viendra acter la séparation entre gestionnaires de réseaux de transport et de distribution ainsi qu’un système de régulation (assuré par la CRE en France). L’objectif est de faire tomber les barrières à l’entrée pour faciliter l’accessibilité du marché pour ce qu’on appellera les « fournisseurs alternatifs ». Les dernières étapes concernent la disparition progressive des Tarifs Réglementés de Vente (TRV). Celle-ci a commencé en 2014 avec les gros consommateurs professionnels raccordés au réseau de transport jusqu’aux sites résidentiels le 1ᵉʳ juillet 2023.
Le marché du gaz est fortement impacté par la guerre russo-ukrainienne
La structure du marché français de gaz a fortement évolué depuis la crise énergétique de 2021/2022. La production de gaz naturel en France est marginale et celle-ci ne permet pas de couvrir les besoins nationaux. La France est donc dépendante à quasi 100% de ses importations, celles-ci atteignant 514 TWh en 2023, dont 399 TWh sont consommés par le marché interne et le reste exporté vers les pays frontaliers (chiffres ajustés pour tenir compte des variations climatiques). D’autre part, la guerre en Ukraine a ajouté une nouvelle contrainte sur les importations de gaz naturel en raison des sanctions imposées à la Russie. Le graphique ci-dessous montre en effet une tendance à la diversification des importations, notamment grâce au gaz naturel en provenance des États-Unis et une légère augmentation du gaz en provenance du Qatar. En dépit des restrictions sur les importations de gaz russe, celui-ci conserve une place non négligeable dans le mix des importations français, à hauteur de 15% en 2023.
À l’échelle européenne, la forte restructuration du marché s’analyse également au travers de la typologie de gaz qui arrive sur le territoire. En effet, sur le marché européen, les importations provenaient principalement de la Russie via les gazoducs en Europe du Nord-est. Ce pays comptait pour 45% des importations européennes en 2019, le gaz naturel liquéfié (GNL) toutes origines confondues pour seulement 18%. Avec la guerre en Ukraine, la part des importations russes a chuté de 45%, compensée en partie par le gaz naturel liquéfié dont les importations ont augmenté de 47%. Le GNL représente désormais la part la plus importante de l’offre de gaz en Europe. La position géographique stratégique de la France la place en tête pour les importations de GNL en Europe. En 2023, la part du GNL dans les importations de gaz en France s’établit à 59% (contre 35% en 2021). Les 4 terminaux méthaniers dont dispose la France ont ainsi permit l’injection de 370 TWh de GNL en 2023, ce qui en a fait une place particulièrement stratégique en Europe pour l’importation de GNL. Cette inversion des flux Ouest vers Est confère à la France le rôle clé de point d’entrée du GNL en Europe, en 2023, ses infrastructures ont pesé pour 22% des imports européens.
Le prix du gaz a souffert du contexte tendu d’approvisionnement en gaz, passant d’un prix moyen de 47€/MWh en 2021 à 98€/MWh en 2022, couplée à une forte diminution de la consommation globale. Les industriels en particulier ont baissé leur consommation de 9% en 2022, puis 6% en 2023. Les ménages aussi ont nettement baissé leur consommation, de 12% en 2022 et 7% en 2023. Néanmoins, ces deux secteurs restent d’important consommateurs, notamment pour le chauffage, la cuisson et l’eau chaude, avec environ 11 millions de foyers raccordés au réseau de gaz naturel. Ainsi, entre 2022 et 2023, la consommation de gaz en France a chuté de 6 %, après une descente de 9% entre 2021 et 2022, en partie en raison des mesures d’urgence adoptées par l’Union européenne pour faire face à la crise énergétique. Ces mesures comprenaient des efforts de sobriété énergétique et une diversification des sources d’approvisionnement, ce qui a permis à la France de renforcer son rôle en tant que hub européen pour le GNL.
On comprend ainsi que le marché du gaz en France est en pleine mutation, marqué par une restructuration importante des flux d’approvisionnement et une baisse continue de la consommation. En 2023, les volumes de gaz consommés pour la production d’électricité ont baissé de 41 %, grâce à la meilleure disponibilité du parc nucléaire. Cette tendance s’inscrit dans une perspective de transition énergétique, où les gaz renouvelables comme le biométhane ont un rôle croissant.
La réglementation incite le marché à se tourner rapidement vers les gaz verts en France et en Europe
Pour atteindre ses objectifs de décarbonation, la France, et plus largement l’Union Européenne, se doit de décarboner son mix énergétique. Depuis 10 ans, les politiques énergétiques françaises orientent le marché pour donner un essor aux gaz renouvelables. Cette production locale représente une opportunité certaine pour le marché français. Dans un contexte de guerre économique avec la Russie, les membres de l’UE ont dû adapter leurs productions et leurs consommations internes. Ce besoin d’une plus grande souveraineté énergétique explique en partie l’accélération des investissements dans les gaz renouvelables. Ces derniers offrent donc un double bénéfice : souveraineté et décarbonation.
La guerre russo-ukrainienne a entraîné une forte accélération de la mise en œuvre des objectifs du Fit For 55% au travers de son plan de relance énergétique. REPowerEU vise à accélérer la transition écologique des pays membres sur le long terme, en développant un système énergétique intégré fondé sur les énergies renouvelables, mais aussi en diversifiant les sources d’approvisionnement en gaz à courte échéance (GNL). En ce sens, les pays européens ont développé un cadre réglementaire incitatif pour favoriser l’émergence de la filière biométhane, pour atteindre la barre des 350 TWh d’ici 2030.
En s’appuyant sur les objectifs de la LTECV et de la PPE, la France travaille son leadership énergétique dans le système gazier européen. Elle vise une cible de 10% des gaz renouvelables dans le mix de consommation de gaz français à horizon 2030. Le gaz vert tient une place de premier ordre dans cette stratégie, en tant que vecteur essentiel pour réussir à pérenniser et développer un mix énergétique souverain et décarboné. La France vise une complémentarité des moyens de productions pour atteindre 420 TWh de gaz renouvelables en 2050, afin de remplacer entièrement le gaz naturel de son mix énergétique.
Les pouvoirs publics ont mis en place plusieurs mécanismes de soutien à la filière. La loi française garantit ainsi à moyen terme la rémunération du biogaz injecté (tarif d’achat, obligation de restitution de Certificats de Production de Biométhane au 1er janvier 2026, possibilité de contractualiser en BPA…). Depuis 2020, le droit à l’injection permet aux opérateurs de réseau de déployer les renforcements nécessaires à l’accueil des nouveaux gaz dans le réseau. Le Code de l’Energie (Articles D446-17 à D446-44) introduit le mécanisme de Garanties d’Origines (GO) par transposition de la Directive RED II (2018). Les GO sont des certificats assurant la traçabilité du biogaz injecté dans les réseaux de gaz naturel, prouvant ainsi la consommation de gaz vert.
Zoom sur le mécanisme de Biogaz Purchase Agreement
La loi relative à l’accélération des énergies renouvelables, adoptée début 2023, crée le cadre légal des Biogaz Purchase Agreement (BPA). Ils permettent d’établir un contrat de vente directe (gré à gré) de biogaz entre le producteur et le consommateur. L’avantage du BPA est sa décorrélation avec le prix de marché pour le consommateur final, et une visibilité long terme des prix du gaz.
Aujourd’hui, les premiers BPA émergent en France, en voici quelques exemples :
- Total / Saint Gobain : 100 GWh sur une période de 3 ans à partir de 2024
- Engie / Arkema : 300 GWh/an à partir de 2023
- WAGA / Veolia / ENGIE : 120GWh/an sur une période de 13 ans à partir de mai 2024
Avec 12 TWh de capacité installée début 2024, la filière méthanisation a largement dépassé les objectifs de la PPE, fixé à 6TWh de biométhane injecté en 2023. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 652 sites de méthanisation qui injectent continuellement du biométhane dans les réseaux. En doublant sa capacité d’injection de biométhane en moins de 2 ans, la filière des gaz renouvelables relève ses cibles de production à 60TWh en 2030 (20% du mix gazier), et 120TWh en 2035.
L’évolution du cadre réglementaire doit favoriser le développement de ces nouvelles technologies de production pour permettre leur essor rapide, leur intégration efficace dans les réseaux, tout en garantissant leur viabilité économique.
Convaincue de la place du gaz dans le mix énergétique français, Yélé Consulting accompagne les acteurs du gaz pour développer et pérenniser de nouveaux procédés de production de gaz vert, développer les réseaux en intégrant les technologies digitales, anticiper les évolutions réglementaires, et transformer les réseaux pour soutenir l’émergence du futur mix gazier.
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Rédacteurs : Alexis Boucaud et Juliette Carlod
Sources :
- L’énergie dans l’Union européenne | touteleurope.eu
- Bilan énergétique de la France – Chiffres clés de l’énergie – Édition 2023 | statistiques.developpement-durable.gouv.fr
- Gaz naturel – Chiffres clés de l’énergie – Édition 2023 | statistiques.developpement-durable.gouv.fr
- Le gaz en France : chiffres clés de 2023 sur l’importation, consommation, biométhane | connaissancedesenergies.org
- Enerdata. (2023, 6 juillet). Global Energy Trends Édition 2023. Enerdata, 55-67.
- Bilan énergétique de la France – Chiffres clés de l’énergie – Édition 2024 | statistiques.developpement-durable.gouv.fr
- Rapport annuel à la Commission européenne : Principaux développements des marchés français de l’électricité et du gaz naturel en 2023 et au premier semestre 2024 – Juillet 2024 | cre.fr
- Perspectives Gaz 2024 | francegaz.fr