Skip to content Skip to footer

Offres vertes en temps réel et garanties d’origine : concurrence ou complémentarité ?

La montée de la demande d’électricité d’origine renouvelable par différents profils de consommateurs s’accompagne d’une volonté croissante de connaître l’origine de l’énergie qu’ils consomment au plus proche du temps réel. Pour y répondre, de nouvelles offres de fourniture apparaissent avec une proposition de valeur centrée sur une granularité plus fine de la traçabilité des flux grâce à des nouvelles technologies. Ceci, tout en valorisant la filière des renouvelables. Les fournisseurs positionnent ces offres comme une innovation quand bien même un mécanisme dont le rôle est de réaliser ce suivi a déjà été mis en place depuis une vingtaine d’années. Si les garanties d’origine (GO) ont constitué une véritable innovation dans les années 2000, le développement de nouveaux mécanismes promouvant une traçabilité des flux à l’échelle locale et au plus près du temps réel interroge la capacité du mécanisme des GO à être le bon outil de traçabilité et un levier de promotion de la filière renouvelable. Cette vision nécessite toutefois d’être discutée.

Le fonctionnement des garanties d’origine

Le mécanisme des garanties d’origine est l’unique méthode reconnue à l’échelle européenne pour réaliser la traçabilité des énergies renouvelables dont le rôle est de garantir qu’une quantité d’électricité a été produite à partir de sources d’énergies renouvelables (Directive Européenne 2001/77/CE ; Directive Européenne 2009/28/CE)1 et contient les informations suivantes :

  • La source d’énergie utilisée et les dates/heures de début et de fin de production ;
  • Le nom, l’emplacement, le type et la capacité de l’installation ;
  • Si et dans quelle mesure l’installation a bénéficié d’une aide à l’investissement ;
  • La date à laquelle l’installation est entrée en service ;
  • La date, le pays d’émission et un numéro d’identification unique.

Cette structuration montre que le degré des informations contenues dans les GO permet de suivre les volumes d’énergies produits d’une manière assez fine.

Quelles sont les raisons d’une défiance de ce mécanisme ?

L’approvisionnement réel en électricité reste actuellement réalisé très majoritairement sur le marché de gros sans recherche de distinction entre la production renouvelable et la production classique. Pour garantir que sa production est renouvelable, le fournisseur achète des garanties d’origine sur le marché dédié à hauteur du volume contracté sur le marché de gros. L’offre est ainsi dite verte alors même que toute l’électricité achetée par le fournisseur peut provenir d’une source non-renouvelable. Les garanties d’origines permettent de garantir qu’un volume de renouvelable a bien été produit, mais il n’y a aucune obligation que cette production ait un lien temporel avec le moment de consommation ou qu’elle ait un lien avec le lieu de consommation.

Deux raisons expliquent ce niveau de suivi des flux réels par les garanties d’origines. Actuellement, les garanties d’origine ont une période de validité de douze mois ; ce qui fait qu’un fournisseur peut l’acheter plusieurs mois après son émission et la valoriser après la consommation de la production. Cette différence dans la valorisation entraîne une décorrélation des flux physiques et des flux financiers ne reflétant pas l’état du parc de production.

En ce qui concerne les lieux de production et de consommation, il n’y a pas d’obligation que la garantie d’origine émise dans un pays soit achetée par un acteur dont les consommateurs soient présents dans le même pays. Aussi, les pays dotés de capacités de production renouvelables largement amorties bénéficient davantage du levier de rémunération que les garanties d’origine offrent. La vocation des garanties d’origine est bien de labelliser la production d’énergie renouvelable et sa consommation volontaire, et non d’offrir une représentation du système électrique ou du marché de gros.

Un mécanisme qui doit répondre aux nouvelles attentes des consommateurs

Néanmoins, les enjeux de transparence et de traçabilité sont aujourd’hui un des vecteurs structurant de notre société que ce soit d’un point vue économique, politique et sociétale. Leur prise en compte dans le domaine énergétique s’inscrit donc dans ce sens. Les consommateurs sont de plus en plus demandeurs de solutions de suivi et les acteurs industriels et institutionnels en font un gage de bon comportement dans leurs actions de responsabilité sociétale et environnementale. Afin de répondre à cette demande, de nouvelles technologies semblent offrir des solutions. Par exemple, l’essor de la blockchain dans le domaine énergétique se traduit par l’annonce de nouvelles offres de fourniture garantissant la traçabilité des énergies renouvelables en temps réel. La société Sun’R, producteur indépendant d’énergies renouvelables, a ainsi lancé une nouvelle offre de fourniture appelée Volterres en avril 2019 qui a pour but de garantir à ses clients une fourniture verte et locale en temps réel. La blockchain permet de réaliser une décentralisation des transactions où l’historique des échanges est conservé et ainsi garantir la transparence des volumes produits et consommés.

Si la blockchain offre une solution technique pour tracer les volumes de production et de consommation, il est avant tout un vecteur qui renforce le mécanisme initial des garanties d’origines. L’évolution des règles d’échanges offrant la possibilité de renforcer l’exigence de traçabilité, et même dans un second temps de favoriser l’investissement dans les énergies renouvelables.

L’investissement dans les énergies renouvelables : conséquence indirecte des garanties d’origine

Une des faiblesses souvent soulignées des GO est que ce mécanisme peinerait à financer la filière des énergies renouvelables. Les chiffres semblent confirmer ces affirmations puisque 95% des GO valorisées reposent sur des usines hydroélectriques construites dans les années 1960-1970. Or, les GO sont contrairement à cette vision davantage un véhicule de transfert de valeur permettant de donner un signal prix sur l’état de la demande en énergies renouvelables qu’un mécanisme direct de soutien à cette filière. La preuve en est que les volumes échangés et les prix des GO bien qu’ayant une forte volatilité ont augmenté depuis une dizaine d’années. La consommation volontaire d’électricité verte via les GO représente près de 518 TWh en Europe en 2018 pour le périmètre étudié par l’AIB. En février 2019, le prix moyen des GO en Europe était de 0,9 €/MWh. La pression de la demande encourage donc les acteurs de l’énergie à investir dans les énergies renouvelables pour pouvoir continuer à y répondre. Cette demande sera renforcée par l’obligation des fournisseurs de garantir leur offre d’approvisionnement renouvelable via l’achat de garantie des énergies renouvelables.

Garanties d’origine et traçabilité temps réel : concurrence ou complémentarité ?

La concurrence entre les différents mécanismes risque de dégrader la crédibilité de l’ensemble des outils de traçabilité de la production renouvelable. Cette perte de crédibilité pourrait se traduire par un manque de transparence du marché de la fourniture verte voire une perte de valeur pour les porteurs de projets renouvelables. Les acteurs du marché doivent donc aborder ensemble les questions de la consolidation, de l’harmonisation et de l’interopérabilité du mécanisme de garantie d’origine afin de supprimer les frictions et de créer plus de transparence. Cette transparence apportera une confiance dans le mécanisme qui par effet de ricochet encouragera l’investissement dans la filière. En ce sens, les garanties d’origine et les solutions de traçabilité en temps réel sont complémentaires plutôt que concurrentes.

Pour aller plus loin, il peut être envisagé que le registre national, seul acteur à posséder les données et les responsabilités nécessaires, pourrait agir comme organisme de contrôle des solutions de traçabilité en temps réel afin d’assurer l’absence de double comptage. Le registre des garanties d’origine deviendrait ainsi l’outil d’interopérabilité et de validation des différentes solutions de traçabilité. Ce mode de fonctionnement permettra d’assurer la coexistence des différentes propositions de valeur, tout en laissant le temps à la réglementation de s’adapter aux nouveaux usages. Ainsi, une traçabilité plus fine renforcée par une régulation efficace favorisera le développement des énergies renouvelables.

 

Yélé Consulting, cabinet de conseil spécialisé dans l’énergie et le digital, aide ses clients industriels, acteurs de marché, opérateurs de réseaux, collectivités et territoires à s’inscrire dans les nouveaux usages des marchés de l’énergie : appui stratégique pour anticiper l’évolution des marchés européens, création de produits digitaux pour répondre aux nouvelles opportunités, AMOA SI gestion de portefeuille, commerce, facturation, rapport réglementaire.

 

1 Ces textes ont été renforcés par la Directive Européenne 2018/2001/CE qui oblige les fournisseurs à utiliser les GOs afin de justifier la part de renouvelable dans leur mix tout en ouvrant le mécanisme à d’autres vecteurs énergétiques (gaz, hydrogène, …).

 

Pierre BERONI

Pierre BERONI est consultant chez Yélé Consulting depuis décembre 2016, Diplomé d’école d’ingénieur à l’ESME Sudria (Ivry-sur-Seine) spécialisation système énergétique et d’un Master Smart Grid & Demand Management à Heriot Watt University (Edinbourg, Ecosse), il a passé deux ans en tant qu’ingénieur Projet et Etude chez un agrégateur de flexibilité EQINOV DSM. Chez Yélé, il travaille chez ENEDIS en tant qu’appuis métier sur le Pôle d’Industrialisation des Solutions Smart (ISS) sur les SI Smart Grid d’Enedis en lien avec les projets d’exploitation des données Linky.

Matthieu BOISSON

Manager « Energy Markets & Industry », Matthieu BOISSON travaille chez Yélé Consulting depuis février 2017. Ingénieur en informatique de formation, il est spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2012. Passé par Powernext pour participer au développement du marché européen du gaz naturel et du registre français des garanties d’origine, il est maintenant responsable des activités de conseil sur les thématiques des marchés de l’énergie :appui stratégique pour anticiper l’évolution des marchés européens face aux défis réglementaires et environnementaux, gestion de projets complexes pour la valorisation des flexibilités sur les mécanismes nationaux, accompagnement à l’achat d’énergie renouvelable (Garanties d’origine, corporate PPAs).

Miléna MARQUET

Docteur en Economie de l’énergie de l’Université Grenoble Alpes, Miléna MARQUET a travaillé sur différentes thématiques allant de l’approvisionnent énergétique à l’échelle locale à la mobilité électrique et le stockage chez un acteur majeur du BTP. Chez Yélé, elle s’est spécialisée dans le management de l’innovation et les nouveaux marchés des énergies renouvelables (hydrogène, flexibilité des énergies renouvelables,…).

 

 

Crédits illustrations exploitées : macrovector / Freepik par Mélanie FERREIRA